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mardi 27 août 2024

Edificio Campo : Burgos saura-t-elle apprivoiser le patrimoine des années 1960 ?


            Continuons notre série d’immeubles remarquables, de ceux qui accrochent notre regard durant nos promenades. Si, jusqu’ici, j’ai classé dans cette série des bâtisses dont l’architecture m’avait frappée par une certaine élégance, un style bien affirmé dénotant souvent dans le paysage mais qui me charmait, celle du jour est à l’opposé. La silhouette de l’Edificio Campo m’a heurté dès de mon premier voyage à Burgos. J’avoue avoir espérer longtemps en découvrir la disparition lors d’un retour en ville.  A l’angle de la Plaza Mayor, ce géant raconte pourtant une facette de Burgos aujourd’hui disparue qui mérite d’être racontée.

            Revenons soixante ans en arrière à Burgos, en 1962, un immense projet s’apprête à voir le jour. Marcos Rico Santamaría, architecte né à Burgos en 1908, dont la réputation n’est plus à faire, s’est vu confier la construction d’un immeuble de 7 étages sur la place historique du centre-ville. Son terrain de jeu de prédilection, à deux pas de là, est pourtant bien différent puisqu’il travaille habituellement sur le chantier de restauration de la cathédrale. Il change totalement de registre en proposant la première façade de la ville en verre parmi trois projets différents. Cette option retenue par les commanditaires du projet tranche dans le centre-ville historique de Burgos. Le chantier va durer deux ans.

Regardez le bien, il se cache à gauche de cette photo de la Plaza Mayor 

Le grand magasin ouvre alors ses portes en 1965, mais pour une courte odyssée finalement. En 1983, les lieux sont vendus, expropriés, revendus et ne rouvriront plus. Un véritable imbroglio juridique se met en place entre la mairie et les propriétaires successifs. A cela s’ajoutent les nouvelles mesures de protection du centre-ville et la municipalité exige qu’on démolisse le bâtiment ou que l’on rabote au moins l’immeuble de deux étages. On veut qu’il s’aligne sur les autres immeubles de la place, les propriétaires de l’époque ne l’entendent pas de cette oreille. En 1994, un projet avait été soumis pour transformer les lieux en immeuble de bureaux et d’habitations. La mairie campait sur ses positions et n’accordait pas de permis pour la rénovation. L’affaire est portée en justice au début des années 2000 et les propriétaires obtiennent gain de cause, l’immeuble garde ses sept étages. Progressivement la mairie essaie de trouver un terrain d’entente avec le propriétaire, il fut même un temps envisagé d’y agrandir la mairie de la ville, trop à l’étroit dans ses murs. Le projet n’aboutit pas. Seul le rez-de-chaussée est encore occupé par un commerce qui permet de couvrir les frais du bâtiment.



Les années passent, les projets bloquent toujours sur ces fameux deux étages hors réglementation. Différentes solutions sont soumises, changer le projet d’urbanisme, ou valoriser l’immeuble comme patrimoine contemporain. La mairie envisage un autre destin pour la grande structure de verre, reconvertir les lieux en musée. Le Museo del Castellano aurait pu se faire ici, un projet dont on a un peu parlé dans la première moitié des années 2010 et qui aurait pu prendre place dans l’ancien grand magasin de la Plaza Mayor. Le projet est abandonné.  

C’est finalement faisant reconnaitre son caractère patrimonial que le bâtiment va sortir de l’impasse. Les deux derniers étages ne peuvent alors plus faire l’objet d’une obligation de démolition et les propriétaires peuvent enfin envisager d’étudier des projets d’exploitation. Reste une question, pas encore tranchée, la destination commerciale du bâtiment sera-t-elle conservée ? C’est sans compter les nouvelles tensions qui naissent depuis peu entre la mairie et les propriétaires, puisque les pompiers ont dû intervenir à plusieurs reprises cette année car certains éléments risquaient de chuter sur la rue piétonne.  


            Le feuilleton de cet immeuble historique est donc loin d’être terminé, je pense que j’aurai sûrement de nombreux autres épisodes à vous raconter dans les années à venir. Cette histoire sans fin nous raconte la difficulté à dompter ce patrimoine de la seconde moitié du XXe siècle, dont l’esthétique tranche, parfois comme une cicatrice, dans le tissu urbain des centres historiques. Quelle place donner à ces bâtiments ? Si nous les conservons, comment les mettre en valeur ? Comment répondre aux problématiques d’entretien qui apparaissent avec le vieillissement et differrent des restaurations de bâtisses plus anciennes ? L’Edificio Campo est peut-être l’exemple le plus criant par sa taille et aussi par ses presque 40 ans d’abandon et de bras de fer avec la municipalité. La question se pose plus largement pourtant, par exemple que deviendra le bâtiment tout proche du Corte Ingles ?  Pour les habitants comme les touristes de passage, il est urgent que les municipalités réfléchissent à la mise en valeur de ces bâtiments qui racontent aussi l’histoire de la ville.

            Levez les yeux, chaque façade vous parle d’une tranche de vie de la ville. Nous nous retrouverons bientôt pour un autre immeuble remarquable dans une autre ville castillane. Bonne promenade à tous.

A lire pour aller plus loin :

DE LA IGLESIA G., « El edificio Campo, anclado en el pasado a la espera de resolver su futuro »  in burgosconecta.es le 9 avril 2022

DIEZ G. & RICO J., « Susto en la Plaza Mayor de Burgos por una plancha metálica suelta en el edificio Campo » in burgosconecta.es le 27 mars 2024

TRAVERSI R., « Los dueños del Edificio Campo piden mantener las últimas plantas al ser un inmueble singular » in elcorreodeburgos.com le 14 mai 2010

UBIERNA G. « Eclosión y abandono: 50 años de Almacenes Campo » in diariodeburgos.es le 19 janvier 2015

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