On
peut traverser la scolarité française sans lire une seule pièce de théâtre de
Racine, Molière ou Corneille, c’est-à-dire des grands auteurs classiques (au
sens patrimonial et non littéraire du terme). J’en suis la preuve… Voici donc
pourquoi je n’ai jamais lu le Cid, du moins jusqu’à aujourd’hui. Ma passion
pour la Castilla y Leon m’a forcément amené à croiser ce personnage à Burgos,
Palencia, Gormaz… Un dossier du mois semblait donc s’imposer, pour redonner une
teneur historique à ce personnage dans nos esprits français.
Un guerrier loyal et irréprochable, vraiment ?
Le
Cid, de son nom complet, Rodrigo Diaz de Vivar naquit dans la province de Burgos
au début des années 1040. On sait peu de choses de son père qui se nommait
probablement Diego Laynez. Comme tous les nobles de son époque, le jeune
homme devient chevalier, homme de guerre comme son père et son grand père avant
lui, il marche dans les pas de ses ancêtres. C’est aussi un homme cultivé dans
le sens où il sait lire et écrire, ce qui n’est pas toujours le cas dans la
noblesse européenne. Il est aussi bilingue puisqu’il parle couramment l’arabe
en plus de sa langue maternelle. Il s’illustre très jeune par sa vaillance au
combat, mais les hommes courageux ne manquent pas prêts à être couverts de
gloire, alors pourquoi lui plus qu'un autre ? Rodrigo a un petit atout, puisque depuis l’enfance il s’est lié
d’amitié avec le dauphin du royaume castillan, Sancho. Autant vous dire que ce
dernier devenu roi, offre un poste à son ami. Ce guerrier reconnu s’illustre
aussi bien sur les champs de bataille que dans les combats singuliers. Il y gagne
son nom de campeador, qui signifie alors maître d’arme ou champion.
Tout
aurait pu aller pour le mieux, si l’ami Sancho II n’était pas mort à Zamora,
alors que le Cid approchait la trentaine. Alphonse VI monte sur le trône,
remplaçant son frère bien opportunément, on le soupçonne d’être impliqué dans
le décès de son aîné. Le nouveau roi arrange alors le mariage du virulent
chevalier avec Jimena (traduisez par Chimène). Mariage arrangé, le Cid se
trouve alors introduit dans la haute noblesse puisque sa femme est une cousine
du roi. Certains prétendent qu’ils échangèrent leurs vœux dans l’église SanMiguel à Palencia. Rodrigo continue à n’en faire qu’à sa tête, et décide par
exemple de prendre, sans consulter son souverain, la forteresse de Gormaz.
San Miguel à Palencia |
Ses différents
avec le pouvoir s’aggravent donc. En 1081 il s’exile, passant par le monastère de
San Pedro, et devient plus proche d’un mercenaire que d’un chevalier loyal. Cet
homme propose ses services à différents puissants, agrandit ses terres et prend
le nom del Cid (dérivé du mot seigneur en arabe). Il n’hésite pas à servir de
puissants musulmans à l’occasion. Mais il repasse aussi parfois au service du
roi Alphonse avec qui il a fini par se réconcilier. Il domine Valence de
1087 à 1092 et de 1094 à 1099. Il meurt cette année là, laissant à sa femme la
gouvernance de la ville, qu’elle tient presque quatre années. La famille du cid
évacue la ville, emmenant l’illustre personnage avec eux. Son corps est alors
installé dans le monastère San Pedro de Cardena, où il avait rapidement
séjourné lors de son départ de Castille.
Une gloire bien au-delà de la mort
Le
guerrier aurait pu reposer en paix et se mêler aux autres grands noms de
l’Histoire, mais c’était sans compter les légendes et sa descendance. En effet,
l’une de ses deux filles devenue, par son mariage, reine de Navarre, sera
l’arrière-grand-mère d'Alphonse VIII de Castille, roi alors qu’il a à peine trois ans et gendre d’Aliénor d’Aquitaine. Voilà le Cid inscrit
dans la lignée des rois d’Espagne. Et puis, il y a la légende, nourrie de nombreux poèmes, celle du grand
guerrier chrétien pourfendant des maures à n’en plus finir. On a vite oublié que Rodrigo a servi des émirs musulmans…
La
gloire du Cid semble éternelle puisqu’il fait l’objet de multiples poèmes,
d’abord en Espagne évidemment. Mais un jour, un auteur français, juste
trentenaire, va marquer sa gloire en écrivant une pièce qui va devenir
terriblement célèbre, il s’appelle Pierre Corneille. Cet auteur qui tente de
modifier les codes du théâtre, sut faire du Cid un grand héros, en s’inspirant
d’écrits venus de la péninsule ibérique. Quant à la vraisemblance historique, nous ne sommes pas à ça près, peu importe que les rois ne soient pas tout à fait
les bons, chronologiquement parlant, les lieux non plus, après tout Séville ou Burgos, quelle différence ? Quoi qu’il en soit le XVIIe siècle s’est trouvé un héros
espagnol, le Cid, et celui-ci deviendra un personnage clef de la littérature
française.
1808, le Cid repart en guerre
L’histoire
d’amour entre le guerrier castillan et les français avait donc bien commencé.
Mais revenons au monastère de San Pedro de Cardena. Ses restes n’en bougent pas
jusqu’au XIXe siècle, lorsque les troupes napoléoniennes, pillent le couvent
en 1808. Cette histoire un peu compliquée n’est pas vraiment tranchée, mais ce
qui est certain, c’est qu’une partie des ossements fut subtilisée par des
militaires. Certains cadres de l’armée préfèrent apaiser les tensions en ré-inhumant
le restes du guerrier dans un petit monument, à Burgos même, sur les rives du
fleuve dès 1809. Finalement les ossements repartent au monastère en 1826 après
négociation entre la municipalité de Burgos et l’abbaye. Mais comme, je l’avais
expliqué dans l’article consacré au monastère, celui-ci ferme ses portes dix
ans plus tard. On retransfère donc en 1842 les corps du Cid et de Chimène dans la capitale de province. Il faudra attendre 1920 pour le roi assiste
à l’ultime enterrement du Cid dans la cathédrale de Burgos. Tous les ossements
du Cid ne sont sûrement pas revenus à Burgos, certains sont partis dans les
poches des français de Napoléon et ont peut-être même voyagé en Europe, mais tous les
mystères ne peuvent être résolus. Reste que la France et la République Tchèque
détiendraient encore des fragments du héros castillan, que l'Espagne tente de récupérer.
Le XXe siècle
le voit s’installer dans la mémoire collective, des statues à son effigie sont érigées, comme celle de Burgos. Un film est tourné en 1961. Aujourd’hui, le Cid est un atout pour l’Espagne, il a même
son parcours touristique pour les aficionados du héros. On ne peut
ignorer le Cid, personnage phare des deux côtés de la frontière mais de façon
très différente, les pages wikipédia françaises et espagnoles dénotent de cette
différence culturelle de par un contenu très différent.
A bientôt pour
d’autres découvertes en Castilla y Leon
P.S. : Le Cid aura échoué
dans sa dernière bataille, puisqu’il n’aura su me faire aimer le théâtre, et ma
lecture de l’œuvre de Corneille s’est arrêtée à la moitié de l’ouvrage.
GREGOR Isabelle, « Le Cid
Campeador (1043 - 1099), De la réalité à la légende », Herodote, le 15 novembre 2011 [Disponible
en ligne, consulté le 29 novembre 2015]
LE GOFF Jacques, Héros et Merveilles du Moyen Age, Seuil,
2005
PEREZ BARREDO Rodrigo, « El
puzle de los huesos del Cid », Diario
de Burgos, le 26 février 2012 [Disponible
en ligne, consulté le 29 novembre 2015]
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