jeudi 26 novembre 2015

La synagogue de Ségovie : Trois religions pour un lieu sacré


            Je vous parlais, il n’y a pas si longtemps, du quatuor touristique qui domine l’offre de Ségovie (Aqueduc, Cathédrale, Acalzar et Real Casa de Moneda). Il se pourrait bien qu’un nouveau quartier devienne une attraction phare, le quartier juif. Je n’en n’ai parlé qu’une fois, pour un sujet qui n’avait rien à voir avec cette caractéristique, la statue d’Agapito Marazuela. Située en contrebas de la cathédrale, la juiverie possède plusieurs éléments singuliers dont le plus important est sûrement l’ancienne synagogue. Vous n’aurez pas souvent l’occasion d’en visiter une, alors profitez en et venez découvrir avec moi ce monument à la croisée des trois grandes religions monothéistes.  


            La ville a eu jusqu’à cinq synagogues, celle que nous visitons aujourd’hui est dite la Mayor. Ses origines remontent au XIIIe siècle, mais certains supposent qu’une mosquée l’a peut-être précédée au même endroit. Ce qui est sûr c’est que la synagogue reprend des codes architecturaux musulmans, voyez ses arcs par exemple, la division en trois nefs, et surtout l’orientation originale, elle n'est pas tournée vers Jerusalem. Les lieux sont confisqués en 1410 pour être convertis en église chrétienne, en effet on accuse des juifs d’avoir brûlé une hostie dans la synagogue. Les lieux sont récupérés et c’est la naissance de l’église du Corpus Christi. Les tensions sont donc de plus en plus fortes entre les communautés dans l’espace réduit des murailles. C’est dans cette période agitée, qu’on exhorte musulmans et juifs à se convertir, les dignitaires religieux se pressent dans la ville. Tout ceci a lieu durant une époque de régence, d’instabilité politique. Il est sûr qu’en 1421 la Synagogue Mayor est passée aux mains de l’abbaye des augustins. Elle resta sujet de tensions entre catholiques et juifs dans cette ville.   


Au cours du XVe siècle les autres synagogues sont progressivement saisies une à une dans la ville, récupérées par des ordres religieux qui les transforment, par exemple en hôpital. Peu à peu les juifs, comme les musulmans, se voient obligés de n’habiter que dans un quartier clos, ou bien de partir de la ville. En 1486 l’Inquisition s’installe à Ségovie et la tension monte encore d’un cran dans la ville. En 1492, la communauté juive quitte la ville, les confiscations, la pression des autorités et les injustices sont devenues insurmontables. Les autorités royales organisent l’expulsion des juifs.
Par des jeux d’annexion des propriétés de l’abbaye, en 1571, c’est le monastère del’Escorial qui en devient propriétaire. Il revend le bâtiment, et l’ensemble devient un convent de Clarisses. Elles l’occuperont définitivement, mais le monument n’en est pas pour autant sauvé. Premièrement le désamortissement de 1836 qui faillit provoquer sa destruction pure et simple. Les intellectuels de Ségovie notamment permirent d’éviter le pire, et de nombreuses publications suscitent l’intérêt,  pour l’église, mais l’histoire finit par rattraper le monument.



Une nuit d’août 1899 l’église part en flammes, et les photographies d’époque nous montrent qu’il n’en reste, pour ainsi dire, rien. A l’heure actuelle tout laisse à penser que l'incendie fut accidentel. Quelques arcs ont survécu, mais c’est à peu près tout, plus de toit, les murs en ruine, et le retable par exemple est parti en fumée, seules des lithographies en témoignent encore. L’église est restaurée, vite et sans la rigueur que nous connaissons aujourd’hui dans les processus de restauration. Elle rouvre en 1902. 



           Un siècle plus tard, l’église est à nouveau restaurée pendant près de deux ans et ouvre à nouveau au public le 7 septembre 2003. Cette fois la restauration a été aussi précise que possible, et s’appuie sur les sources historiques , par exemple, les chapiteaux ont été changé. L’idée est de lui redonner son apparence originale, c’est à dire avant l’incendie. Des détails seront encore modifiés dans les années suivantes pour améliorer et conclure tout à fait les restaurations. Cette belle restauration s’inscrit dans un projet général qui lève le voile sur le passé juif de la ville avec un centre d’interprétation de cette culture dont je vous reparlerai.



            Cette attraction, désormais mise en avant par l’office de tourisme peut-être intéressante, à fortiori dans le contexte de tensions religieuses. On a rarement l’occasion de découvrir un monument qui témoigne aussi bien des luttes qui ont été menées dans les villes, de l’évolution permanente des populations et de leur croyance. C’est aussi un moyen de découvrir une autre partie de l’histoire juive que l’on ne connaît trop souvent aujourd’hui par l’unique prisme de la Shoah. Une visite qui sort de l’ordinaire qu’il ne faudrait rater sous aucun prétexte lors de votre passage en ville.
            A bientôt pour une visite non loin de Burgos     

GORDO PELAEZ Luis, GARCIA GIRON Raul,  La Antigua Sinagoga Mayor de Segovia, Museo Séfardi, 2011 [Disponible en ligne, consulté le 12 novembre 2015]

HERRERO Bonifacio Bartolomé, « La sinagoga Mayor de Segovia y sus propiedades urbanas a comienzos del siglo xv » Sefarad, vol. 72:1, enero-junio 2012, págs. 191-225





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