Ce mois-ci je vous propose à nouveau
une lecture, qui sait, peut-être sera-t-elle une ultime idée cadeau pour les
fêtes. Il est des livres qui nous attendent des années sur nos étagères. On
hésite, on tergiverse, on remet à plus tard car on pense avoir mieux à lire. Je
m’étais promis, il a quelques années, de lire un « Castillo ». Je ne
les compte plus sur les étagères de la maison familiale, où la passion de
l’Espagne est partagée. Pour autant j’hésitais. J’ai fini, le mois dernier, par
me décider pour sa biographie de Franco. Michel del Castillo a beaucoup écrit
sur la guerre civile, et pour cause elle a bouleversé sa vie.
Né
en 1933 à Madrid, le franco-espagnol, est élevé par sa
mère, seule, une fois son père reparti en France. Né dans un quartier chic de
Madrid, il en partira à la fin de la guerre civile, avec sa mère, républicaine
très engagée. La vie de Michel continuera à suivre les péripéties de
l’histoire. De Vichy aux camps de travail en Allemagne, en passant par ceux
d’internement des Républicains espagnols en France, la tournée du jeune espagnol
se fait dans une Europe déchirée où chacun cherche à tirer son épingle du jeu.
Esseulé, il retrouvera sa terre natale, d’abord dans une structure franquiste de
redressement dans les années 1940, puis dans un collège jésuite. Jeune adulte,
il revient plus tard en France où il sortit son premier roman, Tanguy, qui fut peu apprécié du régime
franquiste[1].
Revenons-en
à ce qui nous intéresse aujourd’hui, son Temps
de Franco. L’ouvrage est arrivé
sur les rayonnages des librairies en 2008. Michel del Castillo n’est pas
historien, et ne prétend à aucun moment faire un travail approchant la rigueur
scientifique universitaire. Pourtant, malgré son histoire, ou justement grâce à
elle, Castillo n’écrit pas un livre visant à charger ou à dénoncer Francisco
Franco. Non qu’il approuve le régime, mais qu’il tente de comprendre et
d’expliquer le déroulé des événements. Comment et pourquoi son pays a basculé
dans cette période sanglante ? Il se penche alors sur la destinée de
Franco. De Ferrol, en Galice, où il naît dans une morne famille à son
insupportable agonie à Madrid, Castillo raconte la carrière de ce militaire. On
peut scinder le livre en trois parties : 1892-1933, 1933-1939, 1939-1975.
La
première partie commence en 1892, année de naissance de Paco, petit nom du
dictateur. Le portrait de famille que dresse l’auteur ne laisse guère supposer une enfance épanouissante pour le petit garçon que tout destine à une carrière
dans la marine. La vie en décidera autrement. Peu à peu Castillo y retrace la
carrière du militaire qui trouve dans les derniers feux de la politique coloniale
de l’Espagne au Maroc une motivation. On comprend rapidement dans cette
première étape du récit que Franco n’est pas un homme politique. Il agit en
militaire, invincible, attaché au règlement, impitoyable, d’une rigueur parfois
imbécile. C’est un homme qui, dans la carrière militaire, trouve une position
sociale qui le sort de l’ombre humide de Ferrol à laquelle les trois frères
Franco ont échappé par des voies différentes. Néanmoins, longtemps, le petit
Francisco peine à exister aux yeux du monde. Il n’est pas assez populaire
comme Ramon, son cadet aviateur, un temps républicain. Trop jeune au goût de
l’armée aussi, le petit Paco, quand il monte en grade. Méprisable pour une
partie de sa future belle famille, lui qui fait partie des Africanistes, ces
soldats du Maroc aux carrières trop fulgurantes. En un mot, aussi brillant soit-il
d’un point de vue militaire, Castillo nous décrit un homme sans relief que rien
si ce n’est l’ascension rapide dans la hiérarchie militaire ne prédestine à un
rôle politique de premier ordre.
La
deuxième partie débute en 1933. Le ton de l’auteur change, et c’est en ça que
le récit connaît une cassure. Ce n’est pas tant que le personnage principal entre
dans une phase de sa vie, mais que le temps de Franco devient aussi celui de
Castillo, né cette année-là. On ne narre pas les événements historiques de la
même façon quand ils sont contemporains de notre existence. 1933-1939, c’est à
la fois le basculement, l’espoir d’une sortie de crise, et puis le déchaînement
de la violence. C’est aussi la partie du livre qui déplaira le plus aux
nostalgiques du régime comme à ses opposants. En effet, l’auteur qui a passé sa prime enfance dans le Madrid déchiré, calomnieux, violent des années 1930,
met en parallèle les crimes des deux camps, nationalistes et républicains. La
violence est l’apanage des deux sans distinction. Castillo n’excuse pas les
crimes perpétrés par l’armée des nationalistes dont, bientôt, Franco va prendre
la tête par un concours de circonstances. Simplement il nous place devant les
faits, devant l’horreur d’une guerre civile qui révèle partout le pire de la
nature humaine… Cette partie, très intéressante, est complexe, car elle fait
appel à l’histoire politique d’une Espagne que nous connaissons mal. Ici où là,
d’une touche discrète Michel del Castillo rappelle son histoire.
Enfin,
la dernière partie de l’ouvrage s’étend sur le régime de Franco, qui domine une
Espagne squelettique. Souvent présenté comme un allié des autres grands
dictateurs, on découvre ici un Franco qui semble jouer sur tous les tableaux,
bien conscient qu’un pays exsangue ne peut en aucun cas se lancer dans une
guerre supplémentaire. D’un côté, il rencontre Hitler, qui a peu d’estime pour
lui, de l’autre il fournit en matières premières la Grande Bretagne. Quant à sa
position par rapport à l’antisémitisme, Castillo met en avant les contradictions
de Franco. Une fois la guerre mondiale passée, Franco doit jouer aux jeux
diplomatiques entre les deux blocs qui, progressivement, vont se dégager. Cette
partie n’est pas la plus passionnante, les rapports avec Juan Carlos étant par
exemple assez peu traités, à mon goût. Le défaut majeur de cette dernière
partie c’est d’être moins dans l’explication, Michel del Castillo suppose que
nous savons et qu’il n’est point nécessaire de nous renseigner. C’est là un
défaut habituel lors d’un récit qui concerne une période que nous avons vécue.
Un piège que l’auteur a bien du mal à éviter. J’ai apprécié par contre la
comparaison avec la fin de règne de Philippe II. On découvre la fin d’un
dictateur qui souffre terriblement et qui n’est plus maître du jeu, d’autres
jeunes loups ayant décidé de prendre les rênes du pays.
L’ouvrage
de Castillo fourmille d’informations, de lectures, de critiques. Il
a lu de nombreux autres ouvrages écrits sur le dictateur avant lui. Peut-être
est-il un peu sévère avec Villalonga ? Je ne sais, je ne l’ai pas encore
lu. Un fils de rouge, bourgeois de naissance, miséreux d’adolescence, grand
auteur, il tisse dans les fils de son existence une longue réflexion sur
Franco, le franquisme et ses particularités. Livre à lire et surtout à relire,
il restera pour moi une fenêtre sur une meilleure compréhension du parcours de
Franco, par un homme non militant. Enfin je vous conseille de vous attarder
fortement sur la postface, un très beau texte qui permet de réfléchir surtout par
les temps politiques que nous connaissons aujourd’hui. Un livre à conserver
précieusement sur ses étagères pour ne pas oublier. Avec le temps de Franco, Michel del Castillo permet de comprendre qu’un
dictateur est avant tout le fruit d’une société, d’un temps politique, jamais
une production ex-nihilo.
[1] Une très bonne référence à lire
sur ce thème, accessible gratuitement :
Amélie Nuq, « « L’affaire Michel del Castillo », une campagne de
protestation contre les maisons de redressement espagnoles (1957-1959) », Revue
d’histoire de l’enfance « irrégulière » [En ligne], 13 | 2011, mis en ligne le
30 décembre 2013 URL : http://journals.openedition.org/rhei/3230
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