lundi 24 décembre 2018

Voyage au fil des pages, Le temps de Franco



            Ce mois-ci je vous propose à nouveau une lecture, qui sait, peut-être sera-t-elle une ultime idée cadeau pour les fêtes. Il est des livres qui nous attendent des années sur nos étagères. On hésite, on tergiverse, on remet à plus tard car on pense avoir mieux à lire. Je m’étais promis, il a quelques années, de lire un « Castillo ». Je ne les compte plus sur les étagères de la maison familiale, où la passion de l’Espagne est partagée. Pour autant j’hésitais. J’ai fini, le mois dernier, par me décider pour sa biographie de Franco. Michel del Castillo a beaucoup écrit sur la guerre civile, et pour cause elle a bouleversé sa vie.

Né en 1933 à Madrid, le franco-espagnol, est élevé par sa mère, seule, une fois son père reparti en France. Né dans un quartier chic de Madrid, il en partira à la fin de la guerre civile, avec sa mère, républicaine très engagée. La vie de Michel continuera à suivre les péripéties de l’histoire. De Vichy aux camps de travail en Allemagne, en passant par ceux d’internement des Républicains espagnols en France, la tournée du jeune espagnol se fait dans une Europe déchirée où chacun cherche à tirer son épingle du jeu. Esseulé, il retrouvera sa terre natale, d’abord dans une structure franquiste de redressement dans les années 1940, puis dans un collège jésuite. Jeune adulte, il revient plus tard en France où il sortit son premier roman, Tanguy, qui fut peu apprécié du régime franquiste[1].
   Revenons-en à ce qui nous intéresse aujourd’hui, son Temps de Franco. L’ouvrage est arrivé sur les rayonnages des librairies en 2008. Michel del Castillo n’est pas historien, et ne prétend à aucun moment faire un travail approchant la rigueur scientifique universitaire. Pourtant, malgré son histoire, ou justement grâce à elle, Castillo n’écrit pas un livre visant à charger ou à dénoncer Francisco Franco. Non qu’il approuve le régime, mais qu’il tente de comprendre et d’expliquer le déroulé des événements. Comment et pourquoi son pays a basculé dans cette période sanglante ? Il se penche alors sur la destinée de Franco. De Ferrol, en Galice, où il naît dans une morne famille à son insupportable agonie à Madrid, Castillo raconte la carrière de ce militaire. On peut scinder le livre en trois parties : 1892-1933, 1933-1939, 1939-1975.
La première partie commence en 1892, année de naissance de Paco, petit nom du dictateur. Le portrait de famille que dresse l’auteur ne laisse guère supposer une enfance épanouissante pour le petit garçon que tout destine à une carrière dans la marine. La vie en décidera autrement. Peu à peu Castillo y retrace la carrière du militaire qui trouve dans les derniers feux de la politique coloniale de l’Espagne au Maroc une motivation. On comprend rapidement dans cette première étape du récit que Franco n’est pas un homme politique. Il agit en militaire, invincible, attaché au règlement, impitoyable, d’une rigueur parfois imbécile. C’est un homme qui, dans la carrière militaire, trouve une position sociale qui le sort de l’ombre humide de Ferrol à laquelle les trois frères Franco ont échappé par des voies différentes. Néanmoins, longtemps, le petit Francisco peine à exister aux yeux du monde. Il n’est pas assez populaire comme Ramon, son cadet aviateur, un temps républicain. Trop jeune au goût de l’armée aussi, le petit Paco, quand il monte en grade. Méprisable pour une partie de sa future belle famille, lui qui fait partie des Africanistes, ces soldats du Maroc aux carrières trop fulgurantes. En un mot, aussi brillant soit-il d’un point de vue militaire, Castillo nous décrit un homme sans relief que rien si ce n’est l’ascension rapide dans la hiérarchie militaire ne prédestine à un rôle politique de premier ordre. 
La deuxième partie débute en 1933. Le ton de l’auteur change, et c’est en ça que le récit connaît une cassure. Ce n’est pas tant que le personnage principal entre dans une phase de sa vie, mais que le temps de Franco devient aussi celui de Castillo, né cette année-là. On ne narre pas les événements historiques de la même façon quand ils sont contemporains de notre existence. 1933-1939, c’est à la fois le basculement, l’espoir d’une sortie de crise, et puis le déchaînement de la violence. C’est aussi la partie du livre qui déplaira le plus aux nostalgiques du régime comme à ses opposants. En effet, l’auteur qui a passé sa prime enfance dans le Madrid déchiré, calomnieux, violent des années 1930, met en parallèle les crimes des deux camps, nationalistes et républicains. La violence est l’apanage des deux sans distinction. Castillo n’excuse pas les crimes perpétrés par l’armée des nationalistes dont, bientôt, Franco va prendre la tête par un concours de circonstances. Simplement il nous place devant les faits, devant l’horreur d’une guerre civile qui révèle partout le pire de la nature humaine… Cette partie, très intéressante, est complexe, car elle fait appel à l’histoire politique d’une Espagne que nous connaissons mal. Ici où là, d’une touche discrète Michel del Castillo rappelle son histoire.
Enfin, la dernière partie de l’ouvrage s’étend sur le régime de Franco, qui domine une Espagne squelettique. Souvent présenté comme un allié des autres grands dictateurs, on découvre ici un Franco qui semble jouer sur tous les tableaux, bien conscient qu’un pays exsangue ne peut en aucun cas se lancer dans une guerre supplémentaire. D’un côté, il rencontre Hitler, qui a peu d’estime pour lui, de l’autre il fournit en matières premières la Grande Bretagne. Quant à sa position par rapport à l’antisémitisme, Castillo met en avant les contradictions de Franco. Une fois la guerre mondiale passée, Franco doit jouer aux jeux diplomatiques entre les deux blocs qui, progressivement, vont se dégager. Cette partie n’est pas la plus passionnante, les rapports avec Juan Carlos étant par exemple assez peu traités, à mon goût. Le défaut majeur de cette dernière partie c’est d’être moins dans l’explication, Michel del Castillo suppose que nous savons et qu’il n’est point nécessaire de nous renseigner. C’est là un défaut habituel lors d’un récit qui concerne une période que nous avons vécue. Un piège que l’auteur a bien du mal à éviter. J’ai apprécié par contre la comparaison avec la fin de règne de Philippe II. On découvre la fin d’un dictateur qui souffre terriblement et qui n’est plus maître du jeu, d’autres jeunes loups ayant décidé de prendre les rênes du pays.
L’ouvrage de Castillo fourmille d’informations, de lectures, de critiques. Il a lu de nombreux autres ouvrages écrits sur le dictateur avant lui. Peut-être est-il un peu sévère avec Villalonga ? Je ne sais, je ne l’ai pas encore lu. Un fils de rouge, bourgeois de naissance, miséreux d’adolescence, grand auteur, il tisse dans les fils de son existence une longue réflexion sur Franco, le franquisme et ses particularités. Livre à lire et surtout à relire, il restera pour moi une fenêtre sur une meilleure compréhension du parcours de Franco, par un homme non militant. Enfin je vous conseille de vous attarder fortement sur la postface, un très beau texte qui permet de réfléchir surtout par les temps politiques que nous connaissons aujourd’hui. Un livre à conserver précieusement sur ses étagères pour ne pas oublier. Avec le temps de Franco, Michel del Castillo permet de comprendre qu’un dictateur est avant tout le fruit d’une société, d’un temps politique, jamais une production ex-nihilo. 


[1] Une très bonne référence à lire sur ce thème, accessible gratuitement :  Amélie Nuq, « « L’affaire Michel del Castillo », une campagne de protestation contre les maisons de redressement espagnoles (1957-1959) », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière » [En ligne], 13 | 2011, mis en ligne le 30 décembre 2013 URL : http://journals.openedition.org/rhei/3230

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