vendredi 8 juillet 2016

Voyage au fil des pages : L'Espagne de Philippe II


            Cela fait un moment que je n’avais pas proposé ici une critique sur un ouvrage. La rubrique « Voyage au fil des pages… » n’a pas été mise à l’honneur depuis mars, où je vous proposais des lectures pour les plus jeunes. Aujourd’hui on change de registre avec un ouvrage intitulé L’Espagne de Philippe II, un livre passionnant de Joseph Perez. J’avais à vrai dire, dans une autre édition, parcouru et lu quelques passages pour la rédaction de l’article « Philippe II, roi architecte ? », mais je cultivais depuis un moment l’envie de le lire en entier. C’est désormais chose faîte.
Statue de Philippe II dans la Real
Casa de la Moneda à Segovia
            J’aime bien, vous le savez, commencer par l’aspect matériel de l’ouvrage que je critique. Ici c’est un livre au format poche, relativement épais, qui malheureusement se cassera au fil de votre lecture. Certains aiment le charme des livres qui portent les affres des différentes lectures, ils seront donc ravis. Un petit livre qui finalement ne paie pas de mine.
            Rentrons maintenant dans le vif du sujet. Qu’on se le dise, ce livre n’est pas une biographie du roi, mais plutôt un portrait de son royaume. Je recommande avant la lecture de cet ouvrage, si vous en avez la possibilité, de lire le Charles Quint du même auteur mais dans une collection plus accessible au grand public, les découvertes de Gallimard. En effet le livre du jour demande une bonne culture historique avant d’entamer sa lecture.
            La première partie « La monarchie espagnole », nous éclaire de façon précise et accessible sur les rouages du pouvoir du XVIe siècle. On y comprend les profondes mutations qui empêchèrent le règne de Philippe d’être aussi brillant que celui de son père. Les deux hommes ne se ressemblent pas, Charles Quint  a fait donner à son fils une éducation de prince humaniste, lui qui pourtant vivait dans le mythe de la chevalerie. Mais c’est aussi une affaire de circonstance qui change la conduite du souverain par rapport à son prédécesseur. Ce portrait politique de l’Espagne dressée, l’auteur le combine à son sujet, à savoir le roi, il revient sur sa formation et ses premiers défis, sa vie de prince proprement dite et le rôle politique qu’il détient avant l’abdication de son père. Les bases sont jetées, le lecteur a donc la jeunesse de Philippe II, clef en main, et peu embarqué pour la suite plus complexe.  
S’ensuit la deuxième partie, intitulée « le virage idéologique ». un passage assez long sur les luttes et les problèmes religieux qui secouent le pouvoir et tout le territoire. A priori ce fut pour moi le passage le plus long et le plus complexe, je ne peux pas vous inciter à l’éviter, il est essentiel, mais à le lire sans vous presser. Du point de vue du lecteur français, on s’étonnera de la crise protestante qui est longuement évoquée, mais que nous méconnaissons souvent de notre côté de la frontière, croyant presque qu'elle nous est réservée. L’évocation des problèmes avec les juifs m’a interpellée puisque j’avais découvert cet été des monuments en lien plus ou moins étroit avec cette période à Ségovie. La partie qui suit sur la construction de l’Escorial, que jeconnaissais déjà, fut un vrai bol d’air, il me semble qu’elle peut être lue pour elle seule. On y comprend l’importance du monument mais on y fait aussi tomber quelques mythes.


On attaque le troisième chapitre, « économie et société », déviant sur le Nouveau Monde. La situation du royaume fait étrangement écho à l’actualité : pays surendetté, chômage, mépris des métiers manuels, tensions avec les travailleurs étrangers… Le tout est couplé avec la mise en lumière à la fois des Amériques, et surtout du rôle essentiel de la Castille dans l’économie de l’empire espagnol. On trouvera ainsi de nombreuses explications sur l’intégration de Burgos dans la mondialisation du XVIe siècle et la chute brutale de son économie à mesure qu’approche la fin du règne. C’est un chapitre que j’ai trouvé passionnant, et qui met vraiment en avant les choix, pas toujours judicieux, qu’a effectué le souverain. Un chapitre à lire avec attention puisque, par exemple, le déclin de la Castille se comprend mieux grâce à cette lecture.
Le quatrième chapitre «  1568, l’année terrible », s’attarde sur une période plus sombre du règne, et explique les scandales qui ont terni l’image du roi. On y parle des révoltes plus ou moins lointaines que Philippe II dut affronter, avec des succès, quand il y en eu, plus que mitigés. Le chapitre se termine par un sujet autour duquel l’auteur a habilement maintenu le suspens jusque-là en ne l’évoquant qu’à demi-mots dans les parties précédentes : La mort mystérieuse de Don Carlos, fils et héritier de Philippe II. Après lecture de ce chapitre, on en vient presque à ce féliciter que la grande faucheuse lui ait évité de régner. Je n’en dis pas plus pour maintenir l’envie que vous pourriez avoir d’ouvrir l’ouvrage ne serait-ce que pour ce seul sous chapitre. On enchaîne sur l’avant dernier chapitre, « l’impérialisme » qui revient lui sur les relations diplomatiques avec les voisins, vous rencontrez le roi du Portugal, Sébastien qui, c’est sûr, est aussi sain d’esprit que son cousin Don Carlos. C’est aussi un chapitre qui revient sur quelques désastres militaires et diplomatiques qui annoncent la légende noire qui poursuivra la mémoire du roi.
Enfin l’ultime chapitre donne à voir un triste portrait des dernières années de règne du fils de Charles Quint, où il cumule échecs, défaites et troubles dans son pays. Son corps aussi le dessert, il finira dans des conditions physiques désespérées, terriblement handicapé, incapable de se déplacer seul. Il quittera ce monde inquiet de laisser un héritier manipulable, son fils Philippe, et un royaume instable et appauvri. Cette partie laisse à voir au lecteur le ressenti des contemporains et la comparaison avec la fin du règne de l’empereur Charles Quint peut se faire, qui avait peut-être eu la sagesse d’abdiquer. La conclusion reprend les grands lignes du livre et pose des interrogations supplémentaires tout en soulignant habilement le glissement qui fera bientôt de la France la remplaçante de l’Espagne dans bien des domaines, mode, culture et puissance.
400 pages après avoir commencé ce livre, dont je dois avouer que la lecture a parfois été laborieuse, je suis rassasiée pour un moment d’histoire moderne espagnole. Lecture laborieuse disais-je ? Pourtant le style est agréable, je pense que ce ressenti vient plutôt des conditions de lecture, j’ai lu l’ouvrage de façon morcelée sur une période de deux mois, et je perdais donc parfois le fil. Mais, vous en conviendrez, il ne tient qu’à moi de mieux organiser ma lecture. Je remarque néanmoins que l’ouvrage fait parfois preuve de répétitions, et dans la conclusion l’auteur doit s’en rendre compte puisqu’il se s’en obligé à propos d’un fait dont il a déjà parlé de dire « nous l’avons dit, mais il faut y insister ». On recroise parfois les mêmes faits plusieurs fois, ici mentionnés dans leur grandes lignes et deux cents pages plus loin largement détaillés. Excepté ce défaut, j’ai trouvé le livre très intéressant bien qu’un peu dispersé, mais j’avais déjà mentionné ce problème avec cet auteur dans une précédente critique. Pour les mordus de l’Espagne et de son histoire c’est vraiment un très bon ouvrage. Et pour les historiens voyageurs une bonne façon de prolonger l’escapade après un séjour en Espagne, en particulier en Castille régulièrement évoquée dans l’ouvrage.

J’espère que cette critique poussera certains d’entre vous à emprunter ou à acheter cet ouvrage et surtout n’hésitez pas à m’écrire pour me donner votre ressenti après lecture.  

Les références : 
PEREZ Joseph L'Espagne de Philippe II, Edition Fayard, 2013 - 10€

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