jeudi 31 juillet 2025

Parador de Gredos : La genèse mouvementée d'une aventure centenaire

 

Je vous avais proposé de faire le tour de quelques hôtels chargés d’histoire dans cette série d’articles. Nous allons continuer aujourd’hui avec l’aïeul de tous les paradores, dans la province d’Avila : Gredos. Pour l’instant, je ne vous ai présenté que trois de ces hôtels au statut particulier qui existe en Espagne. Nous avions visité celui de Lerma ouvert en 2003, celui de Ciudad Rodrigo inauguré au début des années 1930 et celui de Zamora aménagé dans les années 1960. Le parador de Gredos c’est un peu un mythe, le premier, il fut ouvert en 1928, résultat d’un long processus. Je vous raconte l’histoire de ce presque centenaire.


Au début du XXe siècle, le secteur de l’hôtellerie est presque inexistant dans le pays.  Le gouvernement espagnol souhaite développer le tourisme qui ne concerne encore qu’une petite part de la société mais, l’état ne s’y trompe pas, le marché est prometteur. On confie, entre autres, à Benigno de la Vega-Inclán la résolution de ce problème. Cet ancien élève des Beaux-arts ayant finalement bifurqué vers une carrière militaire a beaucoup voyagé en Espagne mais aussi outre-Atlantique, tout en en continuant à s’intéresser aux monuments et à l’histoire. Il commence à s’investir dans différents projets culturels comme le musée consacré au Greco, à Tolède, qu’il ouvre en 1911. C’est à la même époque qu’il prend des fonctions importantes à la commission du tourisme royal et qu’il s’intéresse au problème de l’hôtellerie en Espagne. Je m’étendrai plus sur le travail de ce personnage en Castilla y León dans un plus long dossier. Revenons-en aux Paradores, une de ses initiatives les plus importantes.


Entrée actuelle du Parador

Hall de réception du Parador 

A la fin des années 1920, la construction d’un nouvel hôtel est lancée par Vega-Inclán dans la sierra de Gredos. Différents critères ont dicté le choix du lieu, validé par le roi Alphonse XIII. Le domaine est alors bien placé pour la chasse, à une centaine de kilomètres à vol d’oiseau de la capitale. C’est Julián Delgado Úbeda qui est en charge de la construction de l’imposant hôtel, il œuvre régulièrement au milieu des montagnes et choisit d’utiliser des matériaux locaux qui se fondent dans le paysage. Peu à peu le géant de pierre prend forme. Tous les documents disponibles en ligne expliquent que certains éléments architecturaux ont été récupérés sur le site de la casa señorial de Villacastín, mais je n’ai rien trouvé sur l’histoire de cet ancien bâtiment. Je ne pourrai donc vous en dire plus. Les autorités locales négocient aussi quelques avantages dans l’accès à certains services essentiels comme l’approvisionnement de l’eau. En échange de leurs concours, les municipalités font embaucher des locaux. Après deux années de travaux, le roi vient inaugurer le Parador le 9 octobre 1928. Les lieux comptent alors royalement … 14 grandes chambres ! Il faut y ajouter des salons et une bibliothèque. Dès l’année suivante des travaux d’amélioration complètent les installations.


Salon de la partie la plus ancienne du Parador

Au fil du temps, il devient un lieu renommé pour ses paysages et ses promenades, mais bientôt l’ombre de la guerre va noircir ce tableau. En 1933, naît en Espagne la phalange, une organisation politique dont le leader, Primo de Rivera, rejoindra le soulèvement militaire de 1936, début de la guerre civile. En 1935, la phalange, inspirée des mouvements fascistes qui se développent ailleurs en Europe, était à Gredos. Le 16 juin, dans un salon du parador, se réunissent les membres les plus importants du groupement paramilitaire. Le groupe envisage un possible coup d’état. Les germes politiques de la guerre civile commencent à poindre. Il va de soi que le parador préfère mettre en avant un autre événement de histoire espagnole que nous allons voir un peu plus loin, que ce sombre moment. Globalement, j’ai trouvé peu de choses sur la période 1936-1939 au Parador. Comme souvent, c’est un peu le trou noir mémoriel. C’est un long travail qui est encore mené dans la Sierra pour retrouver les dépouilles des victimes de la guerre. En 2010, huit corps ont été exhumés à 700 mètres du parador, ces hommes avaient été fusillés en 1936. La guerre terminée à la fin des années 1930, les cicatrices sont encore présentes.            


Au hasard de mes déambulations, je suis tombée nez à nez
avec un tableau d'Adelardo Covarsí, un peintre que j'ai 
découvert l'année passée à Badajoz. Il a réalisé 5 tableaux
 dans les années 1940 pour Gredos. 

Après la guerre, on souhaite relancer l’activité à Gredos. Si les clubs d’alpinistes sont des férus des lieux, l’état voudrait bien développer les infrastructures. En 1941, de nouveaux travaux sont lancés pour agrandir les lieux. Quand il rouvre, en 1945, fini le « petit » parador, on multiplie les chambres et les services, on ajoute aussi une chapelle. On modernise avec l’arrivée de l’électricité et des communications modernes. Il faut aussi plus de loisirs à disposition pour séduire la nouvelle clientèle de l’Espagne franquiste, pourquoi pas un magasin et un bowling ? Avec 45 chambres, le parador change de dimension. Progressivement, dans les décennies qui suivent, l’hôtel continuera à s’agrandir, jusqu’à atteindre sa capacité actuelle de 74 chambres.      


On peut aisément repérer les différentes étapes de 
construction de l'hôtel.


La chapelle, réalisation de 1945 qui copie les édifices
de la région. 

En 1975, le parador étant toujours le symbole des premiers pas de la Phalange, on célèbre le quarantième anniversaire de la réunion de 1935, des actes commémoratifs avaient lieu alors tous les ans. Des photos en ligne en témoignent si le sujet vous intéresse. Le visage politique des lieux va changer du tout au tout avec un événement dont l’hôtel s’enorgueillit encore aujourd’hui. Franco s’éteint en novembre 1975, l’Espagne doit alors faire sa transition politique. Après les élections de 1977, il faut bien passer à la rédaction de la constitution de cette nouvelle Espagne. En mars 1978, on envoie, loin de la capitale, sept députés qui s’installent à Gredos pour commencer un projet de constitution. C’est ce projet, « la déclaration de Gredos », qui servira de base à la nouvelle constitution. En 2003, cinq des sept députés sont revenus dans les lieux pour fêter le quart de siècle de leur travail. Aujourd’hui, une vitrine est installée pour rappeler qu’ici s’est joué le destin du pays.

Le salon où sont exposés les souvenirs de la venue des députés

Quelques souvenirs de la constitution

Le parador est maintenant un peu endormi, au milieu des montagnes. Défraîchies, les installations semblent un peu en dessous de ce qu’on pourrait attendre dans un établissement qui veut refléter un certain luxe. C’est peut-être pour cela qu’en s’y prenant avec un peu d’avance, on trouve parfois des nuitées à moins de 70€. Les alentours ne font plus très entretenus, les terrasses désertées, les huisseries fatiguées. On pourrait penser que l’hôtel est à bout de souffle. Pourtant ces dernières années, peu à peu, les lieux se voient ouvrir des crédits pour une rénovation. Aurait-il droit à une restauration plus approfondie pour ses 100 ans ?


Exemple d'une chambre pour deux personnes

Aller à Gredos, c’est contempler un siècle de l’histoire de l’âme espagnole. C’est voir un pays dessiner ses ambitions touristiques en choisissant un endroit improbable, perdu au milieu d’une nature grandiose. C’est cet isolement qui donne au parador les caractéristiques qui le transforment tantôt en lieu de repos idéal, tantôt en point de ralliement pour des hommes politiques prêts à décider du pire comme du meilleur. Gredos rappelle que, malgré un siècle de déchirures, certaines institutions espagnoles ont su se fondre dans tous les régimes, les paradores sont de celles-là. Capacité d’adaptation permettant de se mouler à tous les régimes ou de résistance aux tempêtes ? Chacun est libre de le lire à sa façon. Une chose est certaine, à Gredos, même si on se met au goût du jour, la décoration comme le bâti donnent l’impression qu’ici tout est immuable.


Partie la plus ancienne du Parador. 

Bonne suite d’été, nous nous retrouverons bientôt pour un autre hôtel historique de la région à Burgos.                

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