Cette
année 2019, la grande exposition « edades del hombre », se tiendra à
Lerma. Je viens, à cette occasion, de m’apercevoir
que j’ai omis de parler de cette jolie ville que j’ai déjà visitée. Chose rare,
nous allons inaugurer la section sur cette localité par une visite de l’hôtel
le plus en vue de la ville, le parador de Lerma, installé dans un ancien
palais. Quand je dis palais, oubliez les « petits » palais que nous
avons visités précédemment à Avila, Valladolid, Burgos… On parle ici d’une
immense demeure ducale.
Le
palais est une réalisation du début du XVIIe siècle. Le bâtiment, construit en
une petite quinzaine d’années, est le projet de Francisco de Sandoval y Rojas. Ce
noble fit une superbe carrière sous le règne de Philippe III. Ce dernier, fils
de Philippe II et petit-fils de Charles Quint, a régné plus de vingt-deux ans
sur l’Espagne. Il prêta particulièrement son oreille à ses favoris dont Francisco
de Sandoval.
Francisco a grandi à la cour. Comme
d’autres jeunes nobles on l’a placé là pour qu’il noue des liens avec le futur
roi, qui a seulement huit ans de plus que lui. Manque de chance, le premier
prétendant au trône décède, certains prétendront que le roi n’est pas pour rien
dans cette sombre affaire. Francisco devient progressivement un proche du
nouveau dauphin, Felipe, dont il est l’aîné de vingt-cinq ans. Le prince voit
en lui un conseiller de choix. Francisco saura tirer profit de l’ascendance
qu’il a sur le roi, surtout pour faire fructifier sa propre fortune. Une fois
son « ami » Felipe III monté sur le trône, il contrôle
progressivement l’installation de la cour tantôt à Valladolid, tantôt à Madrid,
selon ce qui convient le mieux pour ses investissements immobiliers. De façon
très simplifiée, disons qu’il envoie la cour à Valladolid dans un premier temps,
qui avait été désertée lorsque Philippe II s’était installé à l’Escorial. Madrid
avait, sous le règne du père de Philippe III, multiplié sa population par trois.
Francisco avait donc acheté des palais à très bon prix à Valladolid. Le retour
de la cour lui permet de remplir ses comptes en banque et de racheter les palais délaissés de Madrid, qu’il revendra quelques années plus tard quand la
cour reviendra. Voici donc un exemple des manipulations financières du duc de
Lerma. Habile homme politique, avec la confiance du roi, il dirige presque
l’Espagne, puisque le souverain le laisse signer à sa place à partir de 1612.
Ceci facilita, à n’en pas douter, son enrichissement.
Les jalousies provoquées par sa position
quasi royale, lui feront gagner beaucoup d’ennemis, dont la reine. Il se
débrouillera même pour devenir cardinal, de façon à bénéficier de ce nous
appellerions aujourd’hui, l’immunité diplomatique. Il sera forcé de se retirer
des affaires en 1618, sept ans avant sa mort. Il sera une des plus grandes
fortunes d’Espagne, et le comte est devenu duc.
Venons-en enfin à notre palais. Un
premier nom dans la construction de ce bâtiment : Francisco de Mora, à qui
le duc de Lerma confie dans un premier temps le chantier. Si le Palacio de
Lerma vous rappelle aussi l’Escurial, c’est normal. Mora est l’un des
représentants du même style architectural qui avait gouverné sa construction,
l'architecture herrérienne. Mora avait
en effet fait ses armes avec Juan de Herrera. Il dresse donc les plans du
palais et de la ville environnante. En effet un tel projet ne peut, aux yeux du
duc, se contenter d’un village mal organisé, il faut remettre de l’ordre dans
le paysage. Les villes neuves sont assez à la mode à l’époque, pour les
amoureux du Val de Loire, pensez donc à la ville de Richelieu. Malheureusement
l’architecte de Lerma décède en 1610, sans avoir achevé le monument. En 1617 le
palais est terminé. La mort du duc signe l’entrée en hibernation des lieux, pour
un petit siècle. En effet en janvier 1722, le palais délaissé se retrouve le
centre du pays, le temps d’un mariage. Philippe V y marie son fils, le futur
Luis Ier. Vous ne le connaissez pas ? Il faut dire qu’il n’a régné moins
de sept mois… Le mariage dut être une grande fête, qui aurait pu ramener le
palais sur le devant de la scène. Ce ne fut pas le cas et de nouveau on ne
s’intéressa plus au géant de pierre, pendant un siècle.
C’est la guerre qui en fit à nouveau un
site de choix. Napoléon et ses troupes s’y installèrent un temps réquisitionnant
la ville, transformant les couvents en caserne. La guerre d’indépendance et ses
héros locaux ont largement marqué la ville, vous vous en rendrez compte en la
visitant. Le triste destin du palais va continuer, puisqu’en 1937, il est
transformé en prison. N’oublions pas que nous sommes à deux pas de Burgos, un
temps centre névralgique du régime franquiste durant la guerre civile. Nous
avions déjà vu, à San Marcos à León, l’exemple d’une ancienne prison franquiste
transformée en parador. C’est le même chemin qu’emprunte le palais de Lerma. En
effet le 10 avril 2003 le bâtiment rouvre ses portes en tant qu’hôtel de luxe.
Il a fallu plusieurs années pour réaménager les 15 000 m² du palais, dont
soixante-dix chambres. Dix ans après son inauguration ce fut la toiture qui
bénéficia d’une grande rénovation.
Ce grand parador bénéficie d’un
emplacement intéressant pour visiter la région. Il est regrettable, mais bien
pratique en tant que touriste, que la place principale soit dédiée au stationnement
automobile. Néanmoins vous n’aurez pas de mal à vous projeter dans le XVIIe
siècle et la naissance de cette ville réinventée par un homme qui eut le pouvoir
des rois, la fortune des plus grands banquiers, et une ambition sans limite. Je
vous invite donc à pousser les portes du palais, pour une nuit, un repas ou
juste un café.
Bonne visite.
Quelques sources :
BENASSAR B., VINCENT B., Le temps de l'Espagne : XVIe-XVIIe siècles, Pluriel, 2001
CERVERA C. « El Duque de Lerma: crónica del
mayor desfalco en la historia de España », in abc.es, le 9 avril 2015
CARS (de) J. La saga des Habsbourg: Du Saint Empire à
l'union européenne, Place des éditeurs, 2010
GONZALEZ M., « El
parador de Lerma abre sus puertas tras dos años de obras en el Palacio Ducal »,
in abc, le 11 avril 2003
ESQUIVIDIAS O., « Lerma, el esplendor ducal »,
in El Pais, le 17 août 2002
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire