mardi 8 décembre 2015

Des étudiants aux touristes, le public de Fray Luis de Leon a bien changé


             Parlons un peu des grands hommes et des représentations qui leur rendent hommage dans les villes. Premier personnage, Fray Luis de Leon, figure de l’histoire de Salamanque, dont la statue trône en bonne place dans la ville, juste devant l’université, l’un des lieux les plus touristiques de la ville. Je prends le pari que la plupart des touristes, comme moi la première fois, lui jettent un regard et continuent leur chemin. Il faut dire que rien ne nous permet d’avoir d’indication sur le personnage, alors, je ne vous surprendrai pas, je suis allée chercher.
            Remontons le temps pour nous projeter au XVIe siècle, durant les règnes de Charles Quint et Philippe II. Un homme d’église va marquer son temps, s’inscrire dans le courant humaniste qui anime l’Europe. Né en 1527 ou 1528 à Belmonte, non loin de Cuenca, Luis est issu d’un milieu relativement lettré, son père est un homme de loi, il est donc porté par un socle culturel assez solide. Sa famille déménage à plusieurs reprises quittant Belmonte, pour Madrid puis pour Valladolid. Assez jeune il témoigne déjà de bonnes capacités intellectuelles et d’un goût relativement marqué pour les études. L’adolescent, d’environ quatorze ans, se rend à Salamanque pour commencer l’étude du droit canon, quoi d’anormal pour un fils d’avocat ?
Deux ans plus tard, de façon assez subite, il entre dans les ordres et commence l’étude de la théologie. Il aiguise aussi sa maîtrise du latin, du grec et de l’hébreu. Ayant atteint un certain niveau d'étude et gagné une reconnaissance de sa piété il est envoyé par les Augustins à Tolède. Durant les années 1550, le religieux se déplace dans toute la Castille, revenant à Salamanque, se rendant à Soria, étudiant à Alcala… Ces multiples voyages nourrissent ses réflexions et sa philosophie. Il a trente-trois ans quand il obtient le grade de docteur à Salamanque. Quelques années plus tard il détient la chaire de théologie à l’université.  
Cet augustin enseigne à l’université de Salamanque pendant une trentaine d’années. Mais cette carrière connut des périodes troubles, où le professeur se retrouva sur la sellette. Son étude détaillée des textes religieux provoqua les soupçons de l’Inquisition qui l’emprisonna dans ses geôles près de quatre ans, à Valladolid. On le soupçonne alors de remettre en cause certains textes, on apprécie moyennement sa démarche de traduction de passages de la bible en castillan. Ses lointaines origines juives jouèrent sûrement en sa défaveur, rappelez vous, nous avons parlé récemment de cette communauté lors de la visite de la synagogue de Ségovie et ce qui lui arrive quelques décennies plus tôt. Libéré en 1576 il reprend son travail d’enseignant. Il continue à questionner et à remettre en cause certaines certitudes de la communauté religieuse, restant ainsi un théologien de premier ordre. Il travaille aussi à l’édition des textes de Sainte Thérèse d’Avila. Il décède en août 1591, dans la province d’Avila, alors qu’il préside un chapitre (réunion). Son corps est rapatrié à Salamanque, d’abord au couvent des Augustins et quelques siècles plus tard, en 1856, dans une chapelle de l’Université.        
            En 1869 la ville de Salamanque inaugure une statue qui fait face à la façade plateresque de l’université, financée via une souscription populaire. Cette représentation de Fray Luis de Leon est l’œuvre de Nicasio Sevilla. Le piédestal est en marbre, on y trouve des allégories, comme celle de la poésie. Les commentateurs, aujourd’hui comme hier, apprécient généralement le calme qui ressort de la statue, l’attitude très naturelle. Nous avons parfois du mal à la percevoir car elle est tout de même assez haute, mais je m’accorde sur le fait qu’il semble presque bienveillant. Ce bronze manque d’attention de la part des touristes, moi pour commencer, simple décoration pour beaucoup, une plaque explicative attirerait sûrement le regard, sur un des plus fameux étudiants de l’université.


            Aujourd’hui encore son œuvre constitue un élément essentiel du patrimoine littéraire espagnol, il est un des auteurs majeurs de la Renaissance du pays. A la fois poète, théologien, enseignant, cette figure de Salamanque permet à l’université de s’enorgueillir car cet intellectuel a, à la fois, commencé ici son parcours et dispensé son enseignement dans ses murs. Levez les yeux quand vous visiterez les lieux, interrogez vous sur la place de cet homme qui lutta contre les pires instances de son époque. La statue donne corps au monument de l’université, elle nous explique que sa renommée est due avant tout à ceux qui l’ont fréquentée et qui l'ont fait vivre.
            Bonne promenade intellectuelle et rendez vous pour un autre personnage dans quatre jours.  

BELDAS PLANS Juan, Grandes personajes del Siglo de Oro español, Palabra, 2013

LAZCANO Rafael, Fray Luis de León: un hombre singular, Ed.Revista Agustiniana, 1991

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