Les
statues continuent à nous inviter à la promenade dans les rues de Castille,
direction Avila qui a parmi ses enfants quelques célébrités, elle a rendu
hommage à l’une d’entre-elles cette année. Et non, ne n’est pas Sainte Thérèse,
qui domine le programme touristique de la ville, mais un personnage du XXe
siècle, né dans la province : Adolfo Suarez (rien à voir avec le
footballeur). Près d'une des portes de la vieille ville, à deux pas de l’un des accès
à la muraille, la municipalité a fait installer une statue en hommage à celui
qui a, peut-être, sauvé la démocratie espagnole.
Le petit Adolfo voit le jour à environ 35
kilomètres d’Avila dans un village, nous sommes en 1932, un an et demi après le
début de la Seconde République. Il fait finalement carrière dans
l’administration du gouvernement franquiste, une fois son diplôme de droit
décroché à Salamanque. Quand Juan Carlos prend le pouvoir, Suarez a un peu plus
de quarante ans, le roi fait appel à lui, et le place à la tête du
gouvernement. Il joue habilement le jeu de la politique pour réussir à faire
émerger une constitution. Il tente aussi de redonner à l’Espagne une place en
Europe, en tentant de se rapprocher de ses voisins comme la France. Il poursuit
les réformes, dont la légalisation du parti communiste. Mais, dans un pays
encore instable, Suarez se retrouve sur la sellette, il n’a plus aucun
soutien. Le duc Suarez, qui a reçu ce titre pour l’aide apportée au pays dans le
changement de régime, démissionne en 1981, préférant partir puisqu’il divise au
lieu d’unir les autres politiques. Ce que personne n’attend, c’est la tentative
de coup d’état qui frappe le gouvernement quelques semaines plus tard. 23 février,
les putschistes tirent dans le parlement, trois députés restent stoïques et ne se jettent pas à terre, parmi eux, Adolfo Suarez. Dix ans après le coup d’état, il quitte la vie politique et on parle de moins en moins de lui. Michel del Castillo écrira ainsi, dans son dictionnaire
amoureux de l’Espagne, en 2005 « C’est un nom bien oublié aujourd’hui […]
qui incarna un moment décisif de l’histoire contemporaine de son
pays ».
En 2014, à 81
ans l’homme s’éteint, épuisé par un problème respiratoire, lui qui était déjà
miné par la maladie d’Alzheimer. Les éloges pour son travail de transition
pleuvent de tous bords politiques, bien au-delà des frontières de l’Espagne.
C’est dans cette veine qu’Avila inaugure un an et un jour après son décès une statue
à l’effigie de l’ancien chef du gouvernement, sur la place qui porte déjà le
nom de Suarez. Sa famille, amputée de sa femme et d’une de ses filles qui
l’avaient précédé dans la mort, adhère totalement à cette initiative. Cet
homme, enfant de la province, était officiellement devenu le fils adoptif
d’Avila, aujourd’hui elle réaffirme donc son lien avec lui. Il dort pour toujours
avec sa femme dans le cloître de la cathédrale de la ville. Ceci a donné lieu à
une polémique, puisqu’il faut payer l’entrée touristique (cathédrale + cloître
+ musée) pour venir se recueillir sur la tombe du grand homme.
J’ai rencontré
devant la statue un couple passionné par Suarez, la jeune femme nous a fait
tous les éloges sur le personnage. En français, ils ont tenté de m’expliquer au
mieux les grandes lignes de son action. Quand je penserai à la statue
de Suarez je me souviendrai toujours de ces deux jeunes gens enthousiastes à
propos, non pas tant de l’homme, mais de la démocratie qu’il a permis de
maintenir et dont ils sont les héritiers.
Un petit arrêt
devant cette statue où les gens se prennent en photos, ravis de rencontrer cet étrange héros national, rappelle à la fois le long travail de reconstruction du
pays et ses ambiguïtés. Vous nous voyez, nous français, enterrer un premier
ministre dans une cathédrale ? C’est dans ces anecdotes que l’on se rend
compte des différences culturelles, en tant que touristes, qui existent parfois
entre deux pays voisins, comme notre rapport à la religion.
Sur ces réflexions je vous donne rendez-vous dans trois jours pour une autre statue
MOREL Sandrine, « Adolfo
Suarez, artisan de la transition post-franquiste, est mort », LeMonde.fr, le 24 mars 2015 [Disponible
en ligne, consulté le 27 septembre 2015]
TROUVE Mathieu, L'Espagne et l'Europe: de la dictature de
Franco à l'Union européenne, Peter Lang, 2008
j'ai appris bien des choses
RépondreSupprimerGrégoria